Tous les ans environ, et à peu près à la même période, il est de coutume de modifier l’un des chiffres de l’année, le tout dernier le plus souvent. Une fois de plus, nous ne dérogerons pas à cette règle, et passerons donc ce samedi soir, sans frémir ou presque, de 2011 à 2012, dernière année de notre existence terrestre selon les superstitieux. L’Apocalypse, Beigbeder a bien pensé à le souligner, est proche, très proche. Plutôt que de commencer à rassembler des armes et des provisions dans l’hypothétique pensée d’une survie post-apocalyptique, j’ai décidé, en cette fin d’année, de penser quelque peu à l’avenir du livre.
Vous me direz, à l’approche d’une apocalypse, qu’il soit numérique ou papier ne changera pas grand-chose : il risque de disparaître, entre les incendies dévastateurs, la destruction des bases de données mondiales et la fin de l’électricité, mais considérons un instant que cette fin du monde n’ait pas lieu (ce ne serait pas la première fois, dans l’Histoire de l’Humanité, qu’une prophétie ne s’accomplit pas).
Le livre, à cette époque charnière où la technologie veut être présentée comme un nouveau mode de vie, est considéré par certains comme une espèce menacée, comme si la technologie pouvait l’annihiler. Nous parlons ici de disparition du livre papier pour le livre numérique. Craindre que ce changement, qui n’aura d’ailleurs pas lieu dans l’immédiat, détruise le livre, c’est bien entendu confondre contenu et contenant, et considérer que la Culture et le Savoir ne sont valables que sur de rassurants livres imprimés et brochés, à couverture souple.
C’est peut-être l’époque qui veut ça -sans être un modèle d’humain de toute dernière génération, je ne suis pas encore complètement démodé- mais je considère la culture plus présente dans un ordinateur connecté à Internet que dans un livre de poche. Je trouve d’ailleurs dommage que ceux qui déplorent l’arrivée du livre numérique (souvent des intellectuels diablement plus cultivés que moi) aient si peu confiance en l’esprit humain pour le penser incapable de s’épanouir loin de bons vieux livres papier. Odeur du livre ? Sensation du papier ? Qui lit Gargantua doit renifler la chair et la sueur, sentir les tripes et le vin, pas le papier ! Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres…
Certes, on classera certainement mes mots comme ceux d’un « early adopter », d’un fanatique, et j’aurai sans doute aussi peu de crédibilité que l’un des fervents croyants en Steve Jobs qui glorifierait la marque Apple. Ce n’est pas vraiment le cas. Livre papier ou électronique, peu m’importe. Je m’amuse simplement de voir qu’il existe un clivage entre les deux, et décide d’en parler fin 2011 en espérant que cela ne sera plus d’actualité en 2013.
Car j’entends finalement des choses fantasques des deux côtés. Non, le livre numérique ne tuera pas la culture, mais il ne la recréera pas pour autant, elle ne sera jamais dépendante de lui, tout comme elle n’a jamais été dépendante du papier. Écrire qu’il est impossible, aujourd’hui, d’être un auteur sans être connecté à Internet, est aussi hasardeux que d’annoncer le livre numérique comme la fin du monde.
Bref, ce billet d’humeur, vous l’aurez compris, n’aura eu d’autre but que d’énerver et les uns et les autres en cette fin d’année mouvementée ! C’est surtout ma manière à moi de vous souhaiter à tous d’excellentes fêtes, en espérant animer notre prochaine et peut-être dernière année de nombreuses discussions futiles ou non autour du livre, du numérique, de l’écriture, et de tant d’autres choses. Bonne année les enfants ! On s’revoit en 2012 ! 😉
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Je suis pour le livre numérique, mais cela ne m’empêche pas de rester Fidèle au livre papier. Je ne confonds pas contenu et contenant mais j’aime l’objet, le livre papier est sensuel, il vit, on le sent, etc.
Il ne s’agit pas que de culture et de savoir, mais bien d’un autre mode de lecture.
je ne sais que penser. Le « mode » de lecture est quelque peu différent, mais la lecture en elle-même me semble identique. Les habitudes changent, on clique sur un bouton ou sur un écran plutôt que de tourner une page, mais la lecture se fait de la même manière. Pour ma part, je n’éprouve pas vraiment cet attachement au papier. Pour moi, l’objet (tout du moins les livres de poches tels qu’ils sont vendus aujourd’hui) est simplement fragile, à manier avec précaution, à l’encre qui s’efface au moindre toucher du doigt, qui perd ses feuilles à la seconde lecture.
Le livre électronique s’intéressera sans doute bien vite aux amoureux du papier, en leur proposant des produits au toucher plus proche du papier, à l’aspect moins rebutant, moins rigide.
Merci pour votre commentaire !
Bonjour Sediter,
Je lis ton billet quelques jours après la fin d’année, j’espère que mon commentaire sera accueilli quand même ! En étudiant des manuscrits grecs, je t’assure qu’un livre peut résister en excellente santé beaucoup plus longtemps que l’on ne le croit ! Certes, il faut en prendre quelque peu soin – comme d’ailleurs il le faut pour tous les êtres, humains et matériels – mais tu peux le feuilleter tant que tu veux sans crainte de l’abimer ! Il vieillira, mais l’encre restera tenacement comme elle était le jour de son édition, noir, rouge ou bleu, et même si les siècles, l’humidité – ou les souries – pourront en dévorer quelques sections ! Du reste, les supports des ebooks aussi se détériorent, petit à petit, et cela ne nous étonne pas…
En ce qui me concerne, s’il n’y avait pas des livres numériques, pour consulter mes manuscrits, je serais obligée de me déplacer chaque semaine pour visiter un monastère ou, plus souvent, je devrais errer de bibliothèque en bibliothèque comme une malchanceuse pèlerine, pour photocopier un article ou un livre plus en vente… Quant à la séduction du papier, qui a quand même quelque chose de pervers 😉 , je sais que manier un objet de plusieurs centaines d’années n’a pas le même gout qu’agrandir ou réduire un pdf sur un écran. Pourtant, sans cet écran, je ne pourrais jamais modifier une image jusqu’à rendre une lettre plus lisible, ou une ligne abimée plus claire. Et franchement, pour rester sur le thème de la perversion, redécouvrir une phrase perdue sous un subtil état de moisissure datant de quelques siècles me comble avec autant de plaisir que de toucher le relief doré d’une miniature ! Bref, tout cela pour dire que je profite de deux mondes, sans honte de n’avoir pas choisi mon préféré, et en pratiquant, au contraire, un culte sincère de l’utilité des deux.
En tout cas, à lire les partisans des deux fronts, il semble vraiment d’assister à une lutte héroïcomique du passé contre le futur : entre la paresse de s’adapter à l’innovation, les motivations économiques des éditeurs et des lecteurs , les (pseudo)philosophies des uns et des autres, les rebellions pour s’affranchir de la dictature de l’édition traditionnelle , on a l’impression d’avoir déjà tout entendu, avant même que les ebooks aient gagné les sympathies d’un groupe humain assez nombreux pour qu’ils s’imposent de façon marquante. Les livres papier seraient toujours les plus aimés pour leur valeur matériel, pour quelque mystérieuse raison plus explicite que celles de leur double digitalisé ; ils seraient plus vifs pour leur portée affective, comme s’ils étaient des appendices en page de celui que les offre, ou de l’occasion de leur réception ; enfin, ils seraient représentants de leur milieu culturel et historique, en tant que produit dernier d’une série de processus et de conquêtes progressives de l’humanité . – Comme si les ebooks étaient des productions martiennes auto-générés ! – Ainsi, les supporteurs du numérique seraient des éclairés, qui rejettent tout forme de transmission de la culture réalisée à travers les moyens traditionnels, en voyant, eux seuls, le potentiel d’internet.
Il va de soi que, malgré les exagérations, je trouve les arguments des deux parfois risibles et le point de la question pas toujours centré. Sans trop vouloir dépoétiser la question, à mon avis, le débat papier / numérique devrait finalement être réduit à ce qu’il est : une simple question de support matériel de l’information. Finalement, chacun devrait pouvoir choisir l’objet qui, dans chaque circonstance particulière, lui est le plus confortable. Comment veux-je transporter mes livres en vacance ? Comment mes yeux se fatiguent le moins ? Combien d’espace dans mon appartement puis-je réserver aux livres ? Et si je suis auteur, préfère-je être feuilleté sur un ordinateur ou dans un livre ? Une fois changée la perspective, et restreint les pseudo morales à la plus vulgaire matérialité, tout débat devrait paraitre moins significatif !
A bientôt,
Nora
Un grand merci pour ton commentaire très enrichissant, qui montre que papier et numérique peuvent avancer main dans la main !
Je ne pense pas que c’était ton but, mais tu m’as montré un grand avantage du papier sur le numérique : la découverte du passé. Je n’en ai jamais fait l’expérience, mais ça doit être vraiment grisant de parcourir un livre vieux d’une centaine d’années. Mais ceci s’applique finalement à tous les objets anciens, et pas uniquement au livre. Je dois reconnaître qu’il sera toujours plus intéressant de tomber sur les vieux livres d’un grand père, abîmés et couverts de ses notes, plutôt que sur une vieille liseuse inutilisable puisque déchargée depuis des dizaines d’années !
Maintenant, le numérique me paraît moins bien ! Bon, comme tu as aussi montré son intérêt : la conservation des documents et leur diffusion, je te pardonne ! 🙂
Je suis bien d’accord avec toi concernant les querelles papier/numérique, et je pense que tu as parfaitement résumé la situation !