Rédiger des dialogues

En début de semaine, vous avez certainement lu mes quelques conseils, certes barbants, mais néanmoins utiles, concernant la typographie et la mise en page de vos dialogues de romans. Aujourd’hui, nous allons intensifier le sujet en évoquant plus précisément le dialogue en tant que tel : comment l’utiliser, où le placer, etc.

Prêts à relever de nouveaux défis ? Allons-y ! (j’ai peut-être involontairement volé ce slogan à une marque de céréales ou de chaussures de sports, et je m’en excuse).

Dialogue versus Récit

Voici le combat du siècle ! Le dialogue, ce courageux adversaire, s’inscrit plus ou moins en opposition au récit. Le récit, c’est le texte du narrateur, utilisé pour de barbantes descriptions, parfois pour un peu d’action. Le dialogue, lui, c’est le texte des personnages, celui qui vient mettre un peu de pep’s dans tout ça, qui secoue les choses !

Il paraît très utile d’employer un peu de dialogue pour soulager un récit trop compact. Le dialogue va en effet vous permettre de ne pas infliger à votre lecteur des pages et des pages de « bloc » de descriptions. Ne serait-ce que visuellement, grâce à la mise en page, on remarque que quelques dialogues bien placés donnent toujours davantage envie de lire qu’un continuel discours narratif. C’est aussi ça la magie du dialogue !

Néanmoins, le dialogue n’est pas le parent pauvre du récit. Evitez de l’utiliser par besoin, simplement parce qu’il en faut un peu par-ci par là. Dialogue et récit sont en réalité complémentaires, et se renseignent l’un l’autre. Contrairement à ce que le titre de cette partie laisse entendre, il est d’ailleurs assez idiot d’opposer radicalement récit et dialogue, puisque les deux sont toujours entremêlés (le narrateur n’étant jamais très loin d’un dialogue…).

Quand utiliser le dialogue ?

Vos phases de dialogue doivent toujours être réfléchies et intégrées au bon moment du récit. Elles doivent toujours permettre d’éclairer le lecteur sur une ou plusieurs informations. A travers les dialogues, l’auteur donne au personnage un rôle de narrateur à ne pas négliger.

Les rôles du dialogues peuvent-être divers :

  • Présenter un personnage : rappelons une fois encore le crédo anglais des auteurs : « show, don’t tell ». Utiliser le dialogue peut-être le meilleur moyen de décrire un personnage avec fluidité, sans passer par d’académiques et ennuyeuses descriptions. Les incises narratives courtes sont d’ailleurs la meilleure manière de décrire le physique d’un personnage sans avoir à en faire des tonnes. Ainsi, la simple réplique : « Salaud, cracha Joseph en ébouriffant ses cheveux blonds, je vais te faire la peau ! « , présentera Joseph comme un homme blond, plutôt injurieux et résolument agressif, autant de détails que le récit n’aura pas à ajouter…
  • Éclairer sur les relations entre deux personnages : de même, le dialogue sera la meilleure manière de montrer comment s’entendent vos personnages. Tutoiement/vouvoiement, distance, familiarité, tensions… Autant de détails que de bons dialogues transcriront nettement mieux que de pompeuses descriptions.
  • Faire avancer l’action : naturellement, le dialogue sera également là pour faire avancer le récit : annoncer les éléments perturbateurs, faire jaillir des retournements de situation, révéler des mystères, et tant d’autres choses encore…
  • Etc.

Pensez à utiliser des dialogues régulièrement, mais sans en abuser. J’aurais tendance à dire, grâce aux mesures précises de mon pifomètre, qu’un roman devrait plus ou moins être divisé entre 40% de dialogues et 60% de récit.

 

Les points importants à retenir pour écrire un dialogue

  • Le dialogue doit-être important : en relisant un dialogue que vous avez écrit, vérifiez qu’il a un rôle dans le récit. Si vous pouvez supprimer un dialogue sans que le lecteur ne perde une information, alors faites-le !
  • Un dialogue, une info ? Essayez autant se faire que peut de ne pas emmêler plusieurs informations, plusieurs discussions dans le même dialogue. Vérifiez qu’un échange a le même fil conducteur et ne s’embourbe pas dans des thématiques trop vastes.
  • Qui dit quoi ? Utilisez régulièrement des incises courtes pour éclairer le lecteur sur la nature de l’interlocuteur, surtout si votre dialogue se joue entre plus de deux personnages. Il n’y a rien de pire pour le lecteur que de ne pas comprendre qui est en train de parler. Attention ! N’abusez pas non plus des incises, il est souvent inutile et lourd de faire intervenir le narrateur à chaque réplique.
  • Il n’y a pas que les incises dans la vie : plutôt que d’utiliser à tout bout de champ les « dit-il » et autre « rétorque-t-il », pensez à des moyens plus subtils pour faire comprendre au lecteur qui est en train de parler. Les quelques injures d’un personnage grossier aideront à le différencier de son interlocuteur plus poli, les accords d’adjectifs dans le dialogue permettront d’identifier si c’est l’homme ou la femme qui prend la parole, etc.
  • Alterner les verbes introducteurs : jusqu’ici, j’ai usé et abusé de l’exemple « dit-il ». Et bien sachez que c’est le pire exemple qui soit ! Dire est l’équivalent d’être et avoir, des verbes qui peuvent tant signifier qu’ils ne signifient plus rien du tout. Utilisez donc « dire » avec parcimonie. Préférez des verbes introducteurs qui peuvent davantage éclairer sur l’état ou les émotions du personnage : « hurler, grogner, implorer, supplier,… ». Si vous êtes en panne d’inspiration, je vous conseille cette très bonne liste de verbes d’introduction. L’article qui y est associé vous donnera également de précieux conseils sur l’écriture de dialogues.
  • Ajouter des précisions sur les personnages : durant un dialogue, pensez à utiliser des incises pour ajouter des précisions « scéniques » ou comportementales. Comme vous le savez, un échange entre deux personnes n’est jamais bêtement statique. Ajoutez des précisions narratives sur les déplacements des personnages, leurs mimiques, leur ton, leur voix, etc.

Les intérêts du dialogue

Pour terminer, je vais essayer de convaincre les amoureux de Proust qui considèrent encore le dialogue comme un ennemi du texte, en énumérant quelques qualités du dialogue, et en prouvant l’intérêt que peut avoir l’auteur à l’utiliser.

  1. Rapide : le dialogue peut éclairer une situation, un personnage, un lieu, en bien moins de mots que ne le fait le narrateur.
  2. Léger : le dialogue allège les longues phases de récit, et donne une impression de fluidité au lecteur.
  3. Visuel : le dialogue est visuel. C’est assez bête, mais un texte avec quelques dialogues paraît plus aéré et plus digeste. Grâce aux dialogues, vous donnez l’envie au lecteur de parcourir votre texte.
  4. Immersif : le dialogue va donner un très bon vernis de crédibilité à vos personnages et à votre récit. Grâce à eux, votre texte est bien plus immersif, et votre lecteur plus passionné.

Voilà, j’ose espérer que cet article vous aura donné de nouveaux éléments pour rédiger des dialogues qui nous tiendront en haleine ! Je vais peut-être écrire un dernier article sur le sujet, pour évoquer davantage le rôle du dialogue sur la caractérisation du personnage et l’immersion du lecteur… En attendant portez-vous bien, et n’oubliez pas d’écrire !

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13 réflexions sur “Rédiger des dialogues

  1. Merci pour cet article plein de pédagogie qui sera précieux pour les écrivains en herbe désireux d’affiner leur style.
    Je m’empresse de le signaler sur le forum de Syllabaire Editions.

    Je me demande ce que vous faites dans une école de commerce.
    Plus je vous lis, plus je me dis que vous feriez un excellent prof d’écriture, même si je ne sais pas si ce métier existe.

    En tout cas, je partage vos vues sur l’utilité des dialogues, et je vous remercie aussi pour le lien des verbes classés par utilisation, un complément bienvenu au dictionnaire des synonymes. Ce site que vous indiquez m’aidera à résoudre bien des casse-têtes, moi qui gaspille un temps fou à éviter les répétitions rapprochées.
    Vous êtes décidément une mine de renseignements, et je ne sais comment vous vous débrouillez pour dénicher tant de pépites.

    Comme à l’accoutumée, je guetterai votre prochain article avec impatience. Profitez des vacances de la Toussaint pour vite nous le mitonner.

    Tipram

    • Merci pour vos compliments Tipram ! 😉

      Le métier de prof d’écriture doit certainement exister, mais je doute qu’il soit très sérieux ! 🙂
      Je parle ici de thématiques qui m’intéressent directement, mais qui peuvent aussi être très utiles dans les métiers du commerce. Je pense que l’aisance d’écriture est une qualité certaine, mais qu’il faut savoir s’en servir hors de la fiction, vous ne me contredirez certainement pas sur cette question, vous qui connaissez bien l’écriture « professionnelle ».

  2. Je ne doute pas que votre verve, votre capacité de discernement et votre sens du détail seront un atout considérable pour vos futures activités professionnelles.

    Dans mon cas, l’écriture « professionnelle » relevait presque de l’écriture automatique, puisqu’il est nécessaire de se conformer aux standards et conventions des organisations internationales. Une somme de platitudes de lieux communs, appuyés par une terminologie rigide, qui produit des textes indigestes, le plus souvent compréhensibles seulement par un cercle restreint d’experts onusiens.

    Mes considérations m’ont entraînée loin du thème des dialogues. Mea culpa.

    Tipram

    • Ne vous en excusez pas, c’est en partie ma faute ! Au contraire, le sujet du « que puis-je faire si je sais écrire ? » me parait très intéressant. Soyons pragmatiques : il est quasi impossible de vivre de sa plume aujourd’hui. Ce n’est pas pour autant que les talents rédactionnels ne sont pas prisés par les entreprises. Pour le reste, il est clair qu’il faut savoir écrire de manière automatique et oublier un peu la littérature…

      En tout cas il est heureux que des années d’écritures onusiennes ne vous aient pas éloignée de l’écriture tout court !

  3. Bonjour,
    Merci pour ces articles sur le dialogue, très clairs et illustrés par des dialogues percutants 😀
    La liste des verbes classés par utilisation est une adresse précieuse que je vais m’empresser d’archiver, et dont je tâcherai de faire un bon usage.
    Et merci à Tipram de nous avoir indiqué cette adresse !

  4. Jacques Vandroux :
    Et merci à Tipram de nous avoir indiqué cette adresse !

    Je suppose que vous avez vu mon post sur le forum de Syllabaire Editions ?

    Pour le cas où vous ne l’auriez pas déjà fait, je vous engage vivement à lire les autres articles de Pierrick dans la catégorie « Conseils d’écriture ».
    Vous verrez qu’ils foisonnent de choses très utiles, souvent simples mais auxquelles l’on ne pense pas.

    Les autres catégories de ce site aussi valent la peine d’être lus avec attention.

    Tipram

  5. Cette intervention, claire et agréable à lire, tombe à point nommé au moment où je m’escrime à chercher des solutions pour éviter les « dit-il » et « ajoute-t-elle », merci à son auteur. J’ai eu cette information sur le forum de Syllabaire par Tipram.

  6. Pingback: Semaine 43- La revue de Web « Agaboublog

  7. Un bel article sur les dialogues Pierrickounet ! Deux remarques néanmoins, histoire d’apporter mon caillou au palais idéal du facteur cheval.

    D’abord, il faut éviter à tout prix les dialogues qui ne servent qu’à renseigner le lecteur – et non les personnages qui sont déjà au courant. Ex :
    « — Vous activez le désintégrateur à protons pour inverser la charge des midichloriens, n’est-ce pas capitaine ?
    — Absolument, et comme vous le savez, nous risquons une explosion des papouilles. »

    Ensuite, concernant les incises, Orson Scott Card (je sais, je le prends beaucoup en exemple, mais le fait est qu’il a tout de même déjà une belle carrière derrière lui) n’est pas d’accord avec toi. D’après lui, il faut limiter le nombre d’incises au minimum requis pour ne pas avoir de doute sur le personnage qui parle, et limiter les incises aux classiques « dit-il », « cria-t-il ». Son argument, c’est que les incises font sortir le lecteur de l’action, et plus elles sont « originales » plus elles demandent au lecteur de sortir de sa lecture pour l’interpréter et se représenter la scène. Je dois avouer que je suis assez d’accord avec lui, une fois de plus.

    • Merci pour tes remarques et cet exemple digne des meilleurs films de SF ! 😉 Ma foi, c’est tout à fait juste, l’incise va peut-être casser le dialogue. Je m’étais concentré sur l’aversion des répétition et l’amour des mots compliqués du lecteur français, et j’en avais oublié sa plus-célèbre-encore fainéantise !

      Bref, pour les auteurs indécis entre la profusion d’incises et l’absence d’incises : démerdez-vous ! :-p

  8. Bonjour,
    Comme je suis heureuse d’atterrir ici !!!
    Mon problème : mon fils, correcteur attitré de mes écrits, me certifie qu’il ne peut y avoir de guillemets au sein d’un dialogue.
    Exemple :
    — Je ne suis pas d’accord, répliqua la mère ; et elle ajouta : « fais ce que peux », disait Rabelais.

    Merci pour votre réponse, et merci pour le temps que vous passez à nous éclairer !

    • Bonjour Liliane,

      Et merci pour ce commentaire.

      La question est effectivement compliquée, car nous sommes ici face à un personnage qui fait une citation dans sa propre réplique (ce qui n’est pas si courant !).

      En soi, je pense qu’il n’est pas interdit d’utiliser des guillemets pour cela. L’essentiel reste toujours que le texte soit lisible et clair. Je vous déconseille donc d’utiliser des guillemets dans une réplique si vous utilisez déjà des guillemets pour introduire des dialogues. Dans ce cas, l’alternative peut être de mettre la citation en italique.

      Dans votre exemple, les guillemets ne sont pas utilisées pour introduire la réplique, donc ce n’est pas forcément choquant.

      Malgré tout, je ne suis pas un professionnel de la typographie, donc si quelqu’un passe ici avec un avis plus pertinent, qu’il n’hésite pas à se manifester ! 😉

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