En début de semaine, je vous présentais le surprenant livre 1960 Jeune garçon heureux dans l’élégant collège, un roman gratuit et surprenant, dont je vous invite encore une fois à tenter la lecture. Intrigué par ce texte, qui m’avait directement été présenté par son auteur, je n’ai pas pu résister à l’idée d’interviewer ce dernier, Williams K. Histoire de boucler la boucle, je vous présente aujourd’hui cette interview d’un écrivain atypique, qui nous parle de sa relation à l’écriture, de ses obsessions d’auteur, de sa manière d’écrire et de diffuser ses textes…
Le Souffle Numérique : Bonjour Williams K, et merci d’accepter de répondre à mes questions. Je dois avouer que nos brefs échanges et la lecture de votre roman 1960 Jeune garçon heureux dans l’élégant collège m’ont donné envie d’en savoir un peu plus sur le « personnage »… ou plutôt sur l’auteur !
Et si vous commenciez par vous présenter auprès des lecteurs du Souffle Numérique ?
Williams K : Bonjour à vous, et merci de vous intéresser à l’univers Rhedwaaler. Je voudrais surtout vous dire que je ne vois rien à retrancher à votre avis : en particulier, l’expression roman bâtard (« J’avais l’impression de me trouver face à un roman bâtard, qui aurait dû être érotique mais ne l’était pas » ; « Qui pourrait imaginer écrire tout un roman sur l’obsession d’un homme adulte sur la punition corporelle sans en faire un récit érotique ? ») est d’une exceptionnelle justesse de vue pour définir « Jeune garçon… » : un univers entre deux chaises et que j’ai précisément désiré comme tel. Ceci observé, ne comptez pas sur moi pour vous en donner les raisons, elles sont ambiguës, complexes et probablement inavouables – sauf sur le divan d’un « psy »…
LSN : Combien de livres avez-vous écrit ? Avez-vous déjà travaillé avec un éditeur pour certains d’entre eux ?
Williams K : Je n’ai jamais écrit aucun livre. Je me contente de transcrire mon univers parallèle que je porte depuis très longtemps et qui (peut-être, mais j’espère de tout cœur le contraire) n’a d’intérêt que pour moi seul, même si je ressens un besoin quasi-exhibitionniste de le diffuser. Pour ce qui concerne les éditeurs, mon expérience est très limitée, c’est celle d’un simple amateur du dimanche, donc elle est pour tout dire inexistante.
LSN : Pourquoi avoir choisi de diffuser seul Jeune garçon… plutôt que de passer par un éditeur ?
Williams K : Parce que je suis solitaire. Être seul pour tout, c’est vraiment très agréable, une sorte de vice. En outre, il aurait fallu qu’un éditeur accepte de publier ça : pas gagné… Pour les uns ce sera fascinant, pour les autres terriblement ennuyeux ; or un éditeur investit son argent et attend un légitime retour, il ne joue pas à la roulette russe avec des gens compliqués. Et puis, je n’avais pas la moindre envie de céder les droits. Céder les droits, cela signifie ne plus pouvoir modifier. Jamais. J’en serais malade.
Il m’est arrivé en revanche de faire de fausses propositions à des éditeurs, pour avoir un avis extérieur, un regard-tiers. Et là, c’est très contrasté ; certains ont aimé, d’autres pas. Par ailleurs, pendant un temps, un excellent petit éditeur artisanal du Web (avec lequel j’avais une relation éditoriale sérieuse) a publié certains récits sans cession de droits, dans une grande qualité de travail éditorial ; il m’a en fait tout appris dans la relecture objective d’un texte. Mais j’ai préféré cesser cette publication « papier » car j’ai pris conscience que ma manie de modifier et de réviser cet univers en permanence allait tôt ou tard perturber son travail, ce que je ne souhaitais pas. Je suis resté en excellents termes avec lui, c’est un éditeur minuscule par la taille mais grand par le talent et la compétence, et qui présente la particularité de laisser lire librement en ligne la plupart des livres de son catalogue. Vous pouvez découvrir son site ici.
LSN : Vous proposez non seulement votre livre gratuitement, mais aussi en licence libre. C’est-à-dire que chacun peut, s’il le veut, traduire, adapter ou commercialiser votre texte. Pourquoi ce choix atypique ?
Williams K : Parce que je vais mourir un jour et que personne ensuite ne pourra s’occuper de la diffusion de cet univers. Je veux intensément – et c’est peu dire – que la famille Harts me survive. Il y aura forcément quelque part quelqu’un à qui tout ceci est destiné et qui aura envie de poursuivre la diffusion parce qu’il reconnaîtra ses propres fascinations et obsessions dans cet univers et dans les personnages. Je ne le connais pas, mais c’est à lui ou elle que j’envoie cet univers pour passer le relais. C’est un peu comme une bouteille anonyme jetée à la mer et trouvée parmi d’autres débris sur une plage : si vous devez payer pour ouvrir la bouteille, vous ne l’ouvrirez pas et elle restera fermée. Donner sans contrepartie à toute personne le droit de reproduire, adapter, traduire, commercialiser cet univers, c’est multiplier les chances que la bouteille soit ouverte. Après, ce n’est plus mon affaire, j’aurai au moins fait mon possible.
LSN : Vous proposez votre roman en format e-book (ePub, Mobi et PDF), et vous le mettez régulièrement à jour pour en éliminer les coquilles ou tournures de phrase que vous jugez maladroites. Pourquoi ce choix ? N’est-ce pas un travail sans fin ?
Williams K : Oui, vous avez raison : ce sera sans fin jusqu’à ma mort, même si ce n’est pas un travail – loin de là. J’aime cette idée, la réalité parallèle que je me contente de transcrire, de raconter comme un simple témoin n’aura pas de point final. Ça faisait partie du cahier des charges quand j’ai commencé de mettre en forme tout cela : que ce que je transcris soit sans fin, ne s’arrête jamais. Personne n’aime que le plaisir cesse, et j’éprouve un immense plaisir à m’immerger dans cet univers parallèle. Alors finir un jour, pas question.
Aube est une nouvelle érotique qui s’inscrit dans le même univers que Jeune garçon… Cliquez sur la couverture pour la télécharger
LSN : Comment procédez-vous pour écrire un roman ? Vous faites un premier jet « sur le tas » ou vous le corrigez au fur et à mesure ?
Williams K : Je serais incapable d’écrire un roman. J’ai appelé « Jeune garçon… » roman, par commodité, mais je ne suis pas sûr que c’en soit vraiment un. Dans mon esprit, ce serait plutôt un prologue, une sorte d’ouverture pour un ensemble de récits (dont beaucoup sont déjà transcrits et en révision) qui ont tous pour sujet l’enfance et l’adolescence du jeune collégien Will Harts, bien entendu sous le prisme des curieuses fascinations de Williams Kern. « Jeune garçon… », c’était, comme vous l’avez d’ailleurs très bien vu, une façon tout à la fois loyale et perverse de dire aux lecteurs : « Attention, dans la suite, je vais vous mentir mais en même temps je dirai la vérité, à vous de trier les obsessions qui s’avouent et celles qui ne s’avouent pas, car elles sont tout simplement inavouables… ». Et de fait, tous les récits qui vont suivre le roman sont un tissu de mensonges, une trame d’obsessions malsaines qui ne disent pas leur nom – surtout pas ! Mais ces obsessions sont celles de Williams Kern, pas les miennes. Moi, je ne suis pas l’auteur, je me contente d’être Will Harts, et mon enfance comme mon adolescence sont tout ce qu’il y a de plus saines et heureuses. Qui oserait prétendre le contraire puisque c’est moi qui décide de tout dans cet univers dont je suis le créateur omniscient ?
Pour ce qui concerne le processus, ça vient comme des sortes de blocs bruts, c’est quelque chose qui s’impose à moi : je ne suis que le témoin-sujet de cette réalité parallèle, je la vois et je l’entends, je la sens. Je me contente de tailler les blocs pour leur donner forme définitive ; ensuite, sur une longue période, j’affine mes perceptions en rectifiant ce qui – à mes yeux – doit l’être. Au fond, ma situation est assez comparable à celle d’un faux témoin, ou mieux encore, celle d’un coupable qui dirait la vérité tout en mentant, et qui en prime changerait un peu sa version tous les jours concernant certains détails ; j’aime cette idée d’un coupable qui mentirait, non pour échapper au châtiment mais parce qu’il se rêve et se désire en toute sincérité innocent et pur. Un coupable sans l’être, une sorte de coupable bâtard, qui le serait sans l’être vraiment tout en l’étant un peu, au moins parce que tout obsédé se sent toujours un peu coupable.
Wallesmouth est un texte court qui s’intéresse plus en détail au collège dans lequel étudie Will Harts, personnage principal de la saga. Cliquez sur la couverture pour le télécharger.
LSN : Le numérique généralement, et l’e-book en particulier, ont-ils changé votre façon d’écrire ?
Williams K : Non, puisque j’ai commencé avec le numérique : avant, il n’y avait rien de mon côté, je ne connais que le clavier, l’écran et le e-book. Je n’imprime jamais rien, je n’aime pas relire cet univers sur le papier. Je pense que sans ordinateur, j’aurais été incapable de faire quoi que ce soit, je ne me sens pas écrivain et je suis sûr de n’en pas être un. Un véritable écrivain peut écrire sur à peu près tout, j’en serais bien incapable.
LSN : Et un peu de promotion pour terminer : qu’avez-vous envie de dire aux lecteurs du Souffle Numérique pour leur donner envie de découvrir votre univers ?
Williams K : Le roman comporte des suites, sous forme de courts récits qui peuvent être lus sans ordre précis, rassemblés dans une série générique qui n’aura pas de fin : « Traces d’une enfance heureuse de garçon ». Chacun porte un titre (« Aube », qui est un récit érotique également très bâtard ; « Wallesmsouth », etc). Ils font entre 12 et 20 pages, parfois un peu plus ; tous décrivent divers moments de l’enfance et de l’adolescence de Will Harts, dans son collège de Wallesmouth ou dans la presqu’île de Seanghs, avec ses parents Jan et Katleen Harts, ainsi que son petit frère Nick. Comme le roman, tous ces récits obsessionnels sont ou seront diffusés en texte intégral et gratuitement. Deux seulement sont publiés à ce jour mais j’en ai beaucoup d’autres en révision, et qui vont venir.
Aux éventuels lecteurs je dis juste : si tout ceci, le roman comme ses suites, vous tombe des mains, n’insistez surtout pas, vous perdrez votre temps : c’est un ramassis d’obsessions implicites, malsaines et répétitives. Mais si ces obsessions vous ont intéressé, pour diverses raisons avouables ou non (et dont je vous laisse en toute hypocrisie l’entière responsabilité), diffusez cette étrange réalité parallèle autour de vous autant que vous le pouvez. Je ne pourrai jamais vous en remercier assez : Will Harts, c’est-à-dire moi – ou quelqu’un d’autre –, vous devra beaucoup.
LSN : Un grand merci pour avoir répondu à mes questions, et vous être livré à cette « psychanalyse » en direct ! J’en retiens personnellement le côté obsessionnel de votre univers et de votre rapport à l’écriture. Il est très intéressant de voir un auteur se livrer ainsi sur ses lubies et sur ses obsessions. Le tout me rappelle que l’écriture de roman reste une occupation très personnelle, à tel point que leur diffusion peut parfois tenir de l’exhibitionnisme, comme vous ne manquez pas de le rappeler.
Chers lecteurs, et en particulier nos amis écrivains, n’hésitez pas à partager vos impressions sur cette curieuse interview dans les commentaires de l’article. Je vous invite une dernière fois à découvrir l’univers de Williams K. Comme il le dit lui-même, il y a des chances qu’il vous tombe des mains… ou qu’il révèle en vous les mêmes obsessions que celle du narrateur… ou de l’auteur, je ne sais plus !
Une interview très riche et rafraîchissante ! Merci, ça donne envie de découvrir ces écrits 🙂
Tout cela m’a mis l’eau à la bouche !
Après avoir lu la première partie de ta chronique, je suis donc allée télécharger tout ça, avant de lire la suite.
Je n’en suis qu’à une petite moitié pour l’instant, mais je peux d’ores et déjà déclarer que rien ne m’est tombé des mains (surtout pas ma pauvre tablette qui a déjà beaucoup souffert :P), et que je lirai jusqu’au bout.
Et quand j’aurais atteint le bout, je me demanderai vraiment ce que j’en ai pensé, parce que j’avoue que j’ai du mal à le définir pour l’instant…
C’était un peu la même chose pour moi. Ce livre ne m’est jamais vraiment tombé des mains, même si j’ai trouvé certains passages répétitifs, mais j’ai eu un mal fou à le définir, et ce tout au long de la lecture. Ravi de voir que ma chronique aura au moins convaincu une lectrice ! 😉