Cela faisait un petit moment que je n’avais pas partagé de lecture numérique ici, tout simplement car mon temps de lecture a été assez limité ces dernières semaines. Je me rattrape aujourd’hui en vous parlant de ma toute dernière lecture, le recueil de nouvelles Les Douze Heures de la Nuit, par Lester L. Gore, publié chez les éditions Syllabaire.
Vous n’êtes pas sans savoir que je suis particulièrement friand de nouvelles. Je n’ai en effet jamais caché ma grande admiration pour le génie de Dino Buzzati qui excellait dans le genre. N’étant pas non plus hostile au fantastique, loin de là, la lecture des Douze Heures de la Nuit n’était pas un grand risque pour moi.
Derrière ce titre énigmatique se cachent en effet douze nouvelles fantastiques qui, si elles ne sont pas liées entre elles, ont le mérite de toutes nous plonger dans la « partie nocturne de la réalité« , comme dit si bien l’auteur. A travers ce recueil, Lester L. Gore nous fait voyager à la fois dans le temps (si une grande partie des nouvelles se déroule dans l’univers contemporain, certaines investissent la seconde guerre mondiale, la fin du XVIe siècle, voire l’ère post-apocalyptique) et dans l’espace (que ce soit en France, en Allemagne ou au Congo).
L’auteur nous propose ici une version très classique (dans le bon sens du terme) du fantastique, à savoir une situation initiale issue du quotidien, qu’un élément fantastique vient troubler. Un parti pris assez original, qui s’applique à la grande majorité des nouvelles du recueil, est d’aller chercher le fantastique du côté de la religion. Que ce soit un Dieu Nordique oublié, de vieilles légendes celtiques, une sorcellerie africaine, un mauvais sort hébraïque ou encore le retour du Dieu Seth, le fantastique des Douze Heures de la Nuit vient souvent trouver son inspiration dans les légendes que notre civilisation trouve aujourd’hui fantasques. Je regrette d’ailleurs que l’auteur n’ait pas appliqué cette recette à l’ensemble des nouvelles, ce qui aurait apporté une plus grande cohérence au recueil.
Si je devais justement trouver un défaut à ce recueil, c’est au niveau de la cohérence de certaines nouvelles entre elles, en grande partie au niveau du ton. Alors qu’une grande partie des nouvelles sont particulièrement sombres, avec des scènes suffisamment gore pour justifier le patronyme de l’auteur (désolé, la blague était facile !), d’autres histoires prennent un tournant plus « grand public« . Je pense notamment à Métamorphoses ou plus encore à Le Sanctuaire, qui prennent presque des allures de contes. La nouvelle Gibier, qui nous plonge dans une traque entre deux tribus ayant survécu à l’Apocalypse, m’a aussi paru être une « intruse », puisqu’on ne peut pas vraiment la qualifier de fantastique.
Pour le reste, ces diverses nouvelles n’en sont pas moins bien traitées que les autres, et toutes partent d’excellentes idées. Au final, je pense que, comme dans tout recueil de nouvelles, chaque lecteur aura ses petites préférences entre les différents récits. Pour ma part, j’ai particulièrement apprécié Léo et Der Nachrichter.
Pour résumer, je recommande Les Douze Heures de la Nuit à tous les amateurs de nouvelles fantastiques. Si cette petite revue vous a donné envie, sachez que le livre est disponible au prix de 2,99€ sur la boutique des éditions Syllabaire.
« Léo » et « Der Nachrichter » font aussi partie de mes nouvelles préférées. « Dans la peau » m’a tenue en haleine de la première à la dernière ligne. Vous avez raison de souligner que « Le Sanctuaire » a des allures de conte. Je trouve d’ailleurs très original de traiter sous cet angle le problème de certaines constructions immobilières.
Sur les douze, il y en a bien sûr que j’ai moins aimé, puisque que l’intérêt porté au thème traité relève de la plus totale subjectivité.
Mais ce que j’apprécie avec cet écrivain, c’est son évidente maîtrise de la langue, et cela, quel que soit le registre qu’il choisit. Il sonne « juste », une qualité rare qu’on ne trouve pas souvent, même dans les livres qui font l’objet de critiques positives de la part des journalistes littéraires.
Votre chronique m’a donné envie de relire « Les douze heures de la nuit », ce qui n’est pas peu dire, car en ce moment j’ai pas mal de lectures en retard.
Tipram
Je trouve votre critique fort pertinente !
Il se trouve que je connais bien ce livre. Je n’ai pas eu exactement les mêmes préférences que vous. J’ai adoré « Dans la peau », pour moi le plus sobre et le mieux écrit, avec « Der Nachichter », oui, qui est une extraordinaire histoire et « Le Gibier », un terrible constat social.
« Dans le reflux du temps » m’a séduite aussi, avec son charme désuet, un style XIXe siècle remarquablement rendu, ainsi que « Le Berkeser » qui nous plonge dans une ambiance glauque d’une grande puissance (même si le personnage est identifié dès le départ).
Ce que j’aime dans les nouvelles de Lester L Gore ce sont les chutes à 3 tiroirs d’interprétation : l’interprétation rationaliste, l’interprétation scientifique posée comme hypothèse et celle qui découle du récit : l’acceptation de l’intrusion du fantastique dans le réel. (Il évoque la nécessaire suspension d’incrédulité du lecteur, je crois.)
C’est un livre qui rend le lecteur actif, aux aguets, intelligent.
Il y a toujours le réel en arrière-plan : la société, les mœurs du temps, l’Histoire.
Il y a de l’humour aussi, « Le dernier des Mokélés » me fait sourire chaque fois. Je suis assez d’accord pour dire que « Le sanctuaire » est l’intrus. Un conte campagnard et écologique. Je crois que c’est un texte plus ancien.
J’espère que votre article donnera envie à vos lecteurs de découvrir cet auteur, différent certainement, dans le lot des écrits fantastiques. Je dirai qu’il a de la classe !
Merci de vos commentaires flatteurs. Il est vrai que le recueil manque un peu de cohérence, mais au moment de choisir les nouvelles le composant, j’ai pensé qu’il était bon aussi de montrer que j’avais plusieurs cordes à mon arc, pour éviter d’être enfermé dans un genre restreint. Techniquement, vous avez raison : « Gibier » est purement de la SF, mais aussi « Guérison », puisqu’il fait appel à un ET. Quant au « Dernier Mokélé m’Bembé », c’est un récit réaliste, faisant appel à une science méconnue en France, la cryptozoologie, dans lequel j’ai tenté avec malice de mêler théorie, faits avérés et personnages imaginaires. Car je pense que le fantastique n’est jamais aussi savoureux que lorsqu’il se mêle étroitement au réel.
Pour les irréductibles du livre physique, ce recueil vient de sortir en papier aux Editions Langlois Cécile
280 pages environ – 18 euros
Pierrick, est-ce que je peux mettre le lien de cette maison d’édition ?
Tipram
Bien sûr Tipram, n’hésitez pas ! 🙂
Merci, Pierrick.
Voici le lien.
http://www.editionslangloiscecile.fr/nos-nouveaut%C3%A9s/