S’il y a bien un moment que j’affectionne particulièrement dans n’importe quelle œuvre, c’est le point de départ. Le début d’un livre, d’un film ou même d’un jeu vidéo est toujours un passage intéressant, plein de promesses et d’espoir. Il peut au choix émerveiller, lasser, interpeller ou encore décevoir. Et voilà justement pourquoi un écrivain se doit d’accorder une grande attention à la rédaction du début d’un livre.
Si ce thème vous intéresse, vous êtes au bon endroit. Et pour cause, nous allons aujourd’hui étudier ce qui peut faire la réussite du début d’un roman !
Qu’est-ce que le début d’un roman ?
Vous aurez remarqué que cet article débute par une question d’une stupidité affligeante, ce qui est assez ironique pour un texte qui doit vous expliquer comment écrire le début d’un livre avec succès. Mais rassurez-vous, cette partie de l’article a tout de même son intérêt.
Malgré ma répugnance rémanente et stigmatisante pour les mots compliqués, je vais m’en autoriser un ici : l’incipit. Comme vous le savez probablement, l’incipit représente la scène d’exposition d’un roman. On parlera également de situation initiale, mais avouez que c’est tout de suite moins impressionnant.
Pour définir ce qu’est l’incipit, il va falloir le replacer dans le schéma narratif. Vous l’aurez deviné, l’incipit est la toute première étape d’un récit, située juste avant l’élément perturbateur.
Dans le cas d’un récit chevaleresque qui n’a pas peur des clichés, l’incipit nous présenterait un preux chevalier, qui vit paisiblement dans un royaume féerique, jusqu’au jour où il apprend que la belle princesse a été enlevée par un dragon (qui joue alors le rôle d’élément perturbateur).

Soyez prêts, cet article va utiliser un certain nombre d’exemples fondés sur les dragons ! (Crédits image : Aggiorna)
Le rôle de l’incipit
Pour bien écrire le début d’un roman, il est indispensable de comprendre le rôle de ce dernier. Car l’incipit ne va pas seulement consister dans le démarrage d’un roman. L’auteur doit bien comprendre que ce passage joue un rôle clef dans son récit, et ne doit donc pas être traité à la légère.
Ainsi, il faudra prendre en compte le fait qu’un incipit aura plusieurs rôles bien distincts. La page dédiée au sujet sur Wikipédia liste trois rôles différents, que je vais honteusement reprendre à ma sauce ici : informer, intéresser et nouer un pacte de lecture.
1) Donner son identité au roman
Comme il faut bien apporter un peu d’originalité par rapport à la page Wikipédia sus-citée, je vais commencer par aborder le rôle de l’incipit qui, selon moi, est le moins intéressant de tous. Notre fameuse encyclopédie en ligne décrit ce rôle sous les mots « nouer le pacte de lecture ».
Pour me protéger de toute accusation de plagiat, je vais parler de « donner une identité au roman ».
En tant que premières lignes et premières pages de votre ouvrage, l’incipit va en effet avoir pour rôle d’attribuer une identité à un roman dans l’esprit du lecteur. En d’autres termes, il va permettre au lecteur de savoir à quel type d’ouvrage il a à faire.
Dans le cas de notre magnifique récit de chevalerie, les premières pages du roman permettront au lecteur de comprendre face à quel type de récit il se trouve. Si le texte débute par « Il était une fois » et présente un royaume magique et féerique, le lecteur saura qu’il va parcourir un conte ou un livre pour enfant.
Si les premières pages expliquent en détail comment les dragons dépècent cruellement leurs victimes et mettent le royaume à feu et à sang, le lecteur comprendra qu’il entame un ouvrage de dark fantasy et un texte résolument adulte ou jeune adulte.
Si ce rôle de l’incipit me paraît peu intéressant, tout du moins pour un article de conseil d’auteur, c’est tout simplement car il est très difficile de passer à côté en tant qu’écrivain. Si le début de votre livre de science-fiction ressemble à une autobiographie, c’est probablement que vous êtes un peu à côté de la plaque !
Préservez-vous cependant d’en faire trop pour bien indiquer que votre livre fait partie d’un genre littéraire. Il ne s’agit pas non plus de transformer votre début de roman en accumulations de clichés !
2) Placer le contexte
Abordons donc dès à présent un aspect plus intéressant du début du roman. Plus fondamental encore que de présenter dans quel genre s’inscrit votre texte, l’incipit devra expliquer dans quel univers est situé votre récit.
En effet, ce n’est pas parce que votre ouvrage comporte des elfes et des orques que ces derniers vont se comporter comme ceux de Tolkien. Et ce n’est pas parce qu’il comporte de la magie qu’il faudra s’attendre à voir surgir Dumbledore ou Merlin ! Chaque univers littéraire a ses propres règles.
Le rôle du début du roman sera donc d’introduire l’univers que vous avez créé pour votre lecteur. Il devra notamment lui présenter :
- Les personnages principaux (ou tout du moins le personnage principal)
- Les lieux
- L’époque
- Le contexte général

Le lecteur devra rapidement saisir l’univers que vous lui présentez (Crédits photo : Lauro Roger McAllister)
Naturellement, chaque genre littéraire conditionnera les éléments à traiter en priorité. Un récit historique devra ainsi bien renseigner le lecteur sur le lieu et l’époque, tandis qu’un récit fantastique pourra se permettre de rester trouble sur l’ensemble des ces éléments, et caractériser avant tout le personnage principal.
L’essentiel est que le lecteur puisse comprendre dans quel environnement se situent les personnages. Il sera également important de travailler sur les motivations du personnage principal, de manière à ce que le lecteur puisse s’y attacher, ainsi qu’à sa cause.
Toujours dans notre exemple du chevalier au dragon, la contextualisation du roman jouera pour beaucoup dans l’intérêt et la compréhension du lecteur. Les premières pages permettront en effet d’instaurer le contexte du récit, et permettront également de conférer une « personnalité » à votre texte.
Il existe ainsi de multiples possibilités qui vous permettront d’éviter le classique prince charmant qui doit délivrer sa princesse du dragon. Votre chevalier pourrait par exemple être un chasseur de dragons, ce qui transforme la princesse en objectif secondaire, voire supprimer totalement l’enjeu de son enlèvement.
On pourrait également imaginer que le dragon est une créature bienfaitrice, qui enlève la princesse pour avoir un moyen de pression sur un roi tyrannique. Notre héros devient alors un chevalier noir, prêt à tuer femmes et enfants pour restaurer le pouvoir d’un despote !
Le double enjeu ici est de ne pas perdre le lecteur (il doit comprendre ce qu’il lit), mais aussi de l’impliquer dans votre récit. Si le lecteur ne comprend rien des ambitions ou des objectifs du personnage principal, il risque tout simplement de se détacher de votre texte, et a donc de fortes chances d’arrêter la lecture.
3) Intéresser le lecteur
C’est ici que nous entrons dans un troisième rôle de l’incipit, selon moi tout aussi important que le précédent : piquer la curiosité du lecteur. A une époque où les œuvres sont de plus en plus nombreuses, et où il est de plus en plus facile d’y accéder, il est vital que le début d’un roman soit capable de captiver le lecteur.

L’univers de votre livre doit faire oublier le sien au lecteur… (Crédits photo : Peggy)
Le fait de pouvoir parcourir le texte d’un livre avant son acquisition permet souvent à un lecteur d’appuyer sa décision d’achat. En d’autres termes, si les premières pages donnent envie de lire la suite, vous avez des chances de convaincre. Dans le cas contraire, le lecteur passera son chemin ! Peu importe si votre texte est sublime dans son intégralité, il souffrira toujours d’un mauvais début.
Il faudra donc bien penser à intéresser le lecteur dès les premières pages. Cela peut passer par différentes astuces de mises en scène :
- Débuter par une scène d’action
- Éviter les descriptions longues et rébarbatives d’entrée de jeu
- Rendre le personnage principal et sa quête attachants
- Faire preuve d’originalité
L’enjeu est d’impliquer rapidement votre lecteur, sans le lasser. Il faut donc faire la part des choses entre l’exposition (introduire son univers et ses personnages) et le récit (présenter ce qui va se passer et faire avancer l’action).
Je pourrais par exemple débuter mon récit chevaleresque par l’enlèvement de la princesse. Alors que le royaume est en paix, et que mon héros s’apprête à demander sa main à la fille du roi, l’ignoble dragon détruit le château et fuit avec le belle, non pas sans massacrer quelques pauvres gardes.
J’aurai ainsi présenté les personnages principaux, montré ce que la princesse représente pour notre héros et introduit la menace pesante incarnée par le terrible dragon. Le tout sans me perdre dans des pages et des pages de descriptions et d’exposition.
Naturellement, d’autres solutions s’offrent à moi. Présenter un personnage principal sadique ou un univers torturé me permettront d’intéresser le lecteur, non pas par l’implication directe, mais par la curiosité. Étonné de découvrir un contexte qu’il n’a jamais lu pour un récit de dragon, il aurait envie de continuer pour voir si l’idée est bien exploitée.
Soigner le début de son roman
Au moment de débuter un roman, il sera toujours important de penser à ces trois rôles fondamentaux. N’oubliez ainsi jamais que le lecteur n’est pas dans votre tête.
Veillez donc à lui communiquer uniquement des informations qu’il pourrait comprendre, et évitez de le surcharger d’informations. C’est d’autant plus important dans le cas d’un roman à l’univers riche, comme peuvent par exemple l’être les textes de fantasy ou de science-fiction. Si la première page de votre roman comporte déjà huit noms de personnages différents, vous avez perdu !
Naturellement, chaque incipit sera différent. A vous de déterminer en quoi le vôtre peut tirer son épingle du jeu.
Quoi qu’il en soit, ne restez pas bloqué sur la rédaction de l’incipit. Libre à vous de l’écrire au départ sans penser au lecteur. Vous le peaufinerez alors une fois votre récit fini, pourquoi pas après l’avoir présenté à quelques bêtas-lecteurs !
Incipit : Ne pas avoir peur des mots compliqués, barbares, néologismes, etc. Tout enrichissement de vocabulaire exerce une influence sur l’intelligence et sur la créativité.
Par exemple, en espagnol le mot « amorcer » n’existe pas. On utilise le mot « arrancar » (arracher) qui a d’autres connotations, dont la même signification qu’en français, et ça permet moins de réflexions sur la façon de démarrer un processus pour qu’il continue sans aide extérieure (signification du mot « amorcer »).
En ce qui me concerne, la découverte du mot incipit à la lecture de votre article, me fait reflechir à d’autres passages qui peuvent être ainsi nommés et de cette façon faciliter la structuration.
Alors merci pour avoir participé à la création de nouvelles connexions dans mon cerveau.
Errata : de cette façon ET faciliter la structuration.
Toute réflexion faite. Est-ce vraiment indispensable de commencer par le début ?
Parfois dans mes délires quotidiens, je pense à des situations et des dialogues qui font partie d’une histoire qui n’existe pas encore et je les couche sur mon disque dur en attendant d’autres délires qui, sans forcement se référer à une quelconque continuité, puissent faire partie de la même histoire.
Ainsi, un ouvrage pourrait être composé des parties fortes, nées de moments d’exaltation ou de rêve et liées par des passages qui restent à trouver d’une façon plus réfléchie.
Depuis quelques décennies, nous assistons à une certaine forme de récit qui nous place tout de suite en situation sans nous expliquer ce qui se passe. La compréhension de la situation apparaît au fur et à mesure.
Le « Il était une fois un royaume lointain » est remplacé par « Grande fut la surprise de Solon en realisant qu’il ne pouvait pas revenir sur ses pas pour rejoindre le flexotaire ».
Comprenne qui comprendra… deux chapitres plus tard.
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Merci pour cet article intéressant. Il est vrai que c’est un moment extrêmement excitant, peut-être le temps le plus intéressant de la création à mes yeux. Tant de mondes possibles s’ouvrent sur un incipit bien pensé… Mais entre le dire et le faire, il y a un gouffre ! … =)
J’en profite pour signaler un court article intéressant, qui mêle réflexion sur l’incipit (le sujet de cet article) et importance du titre + du début d’un roman face à un éditeur ou un comité de lecture (sujets de divers articles de ce site… !). Alors voilà le lien : http://manu-ecrit.fr/titre-et-incipit-deux-moments-cruciaux/
A bientôt !
Gaitay
Merci pour cet échange. Je recommande en effet la lecture de votre article, qui est très pertinent.