Cette année, j’ai fièrement atteint le cap des 26 ans, ce qui fait que je me situe pile dans la période de ma vie où j’oscille entre le jeune idiot idéaliste et le vieux con cynique. Et s’il y a bien une chose qui n’a pas changé depuis l’époque où j’ai débuté ce blog, c’est clairement mon aversion pour l’édition à compte d’auteur et tous les pseudo-services assimilés.
Malheureusement, force est de constater que l’auteur est resté malgré les années la parfaite poule aux œufs d’or, qui reste plus facile à plumer que le lecteur lui-même. On voit donc toujours fleurir des modèles économiques « innovants » (que j’appellerai ici « bâtards ») qui poussent l’auteur indépendant à payer de sa poche, façon miroir aux alouettes. Et j’ai pensé qu’il était intéressant de revenir sur le sujet…

Crédits photo : Neubie
Qu’est-ce qu’un modèle économique bâtard ?
Je vous le disais plus haut, je suis actuellement dans une étape de transition entre le jeune con et le vieux con. Quand je parle de modèle économique bâtard, j’utilise l’adjectif bâtard à la fois :
- Comme les vieux : est bâtard ce qui est issu d’un croisement non identifié.
- Comme les jeunes : je pense que nous comprenons tous ce sens.
En d’autres termes, quand je parle de modèles économiques bâtards pour l’édition numérique, je parle ici des solutions alambiquées parfois proposées aux auteurs indépendants pour monétiser leurs livres… et qui ne sont pas toujours à leur avantage.

Eh oui : même la vie d’un auteur bohème peut dépendre d’un modèle économique… (Crédits photo : The triple sisters)
Pour donner un exemple de modèle économique bâtard qui parlera à tous et qui est quasi vieux comme le monde, je peux citer ici l’édition à compte d’auteur.
L’édition à compte d’auteur est en effet un modèle bâtard (premier sens), parce qu’il mêle :
- L’édition classique : le livre de l’auteur est « propulsé » par un éditeur, qui fait office de personne tierce et de référent pour le lecteur.
- L’auto-édition : c’est l’auteur qui doit avancer une grande partie (voire la totalité) des frais d’édition.
Il s’agit également d’un modèle économique bâtard (second sens) car il donne illusion à l’auteur de profiter d’un processus éditorial complexe, alors que le soi-disant éditeur se contente bien souvent d’encaisser l’argent en limitant grandement son travail sur le roman et sa diffusion.
Les modèles économiques purs pour un auteur
Difficile de parler de modèles économiques bâtards sans citer en premier lieu les « races originelles » qui ont inspiré ces modèles. En effet, un auteur qui chercherait à commercialiser ses ouvrages aura le choix entre différentes solutions tout à fait louables, que je vais lister ici :
1. L’édition à compte d’éditeur
Pour commencer, la solution classique et traditionnelle s’il en est, sera de passer par l’édition à compte d’éditeur.
Dans ce schéma, l’éditeur décide de prendre en charge la totalité des frais d’édition. Selon la taille de la maison d’édition et le nom de l’auteur, l’éditeur s’occupera donc :
- de la relecture
- de la correction
- de la mise en page
- de l’impression
- de la diffusion
En somme, l’éditeur transforme le manuscrit en produit « livre » prêt à la vente, et disponible pour les acheteurs.

Le recours à un éditeur reste la solution « traditionnelle » pour un écrivain. (Crédits photo : Actualitté)
L’avantage de ce modèle est que l’auteur ne paie rien. Il devra simplement donner de sa personne pour la promotion du livre et mobiliser son entourage et son réseau.
L’inconvénient de ce modèle est qu’il est difficile d’être édité. L’auteur devra envoyer son manuscrit à de multiples maisons, et consacrer un temps certain à ces démarches. Il devra aussi s’attendre à de multiples refus. Par ailleurs, les droits d’auteur peuvent être plus ou moins attractifs, en fonction du contrat.
2. L’auto-édition
En conséquence des inconvénients précédemment cités est apparue l’auto-édition. Dans ce modèle, l’auteur décide de se passer d’éditeur pour la publication de son ouvrage.
Il va donc prendre en charge l’ensemble des étapes que j’évoquais ci-dessus, et s’occuper de la publication de son roman de A à Z. En fonction du profil de l’auteur et de ses moyens, il pourra s’occuper lui-même de ce travail ou avoir recours à des prestataires (traducteurs, correcteurs, bêta-lecteurs, imprimeurs…).

Vendre soi-même ses livres pourra être une solution (Crédits photo :
Vikramdeep Sidhu)
L’avantage principal de cette méthode est que l’auteur garde toute liberté artistique, et n’a pas à démarcher des éditeurs pendant des mois ! Il gagnera également plus d’argent sur la vente de chaque livre…
… le défaut principal étant que l’auteur doit aussi prendre en charge l’ensemble des frais. Par ailleurs, l’auto-édition est très chronophage et nécessite de nombreuses compétences (édition, communication, vente, diffusion…). Heureusement, il existe aujourd’hui des outils et plateformes qui facilitent grandement l’indépendance d’un auteur.
3. L’agent littéraire
Comme je ne suis pas si vieux, et donc pas forcément opposé au changement, je vais admettre ici une nouveauté qui n’a rien de français pour l’auteur : l’agent littéraire. Très populaire outre-Atlantique, l’agent littéraire est un métier encore assez récent en France.
Avec ce modèle, l’agent littéraire prend en charge la carrière de l’auteur. Il mobilise son réseau professionnel et s’occupe de négocier les droits de l’auteur avec différents éditeurs. Un bon agent littéraire pourra ainsi trouver un contrat d’auteur attractif, et faciliter l’édition d’un livre. Sa rémunération se fait sur un pourcentage des ventes de livre.

L’agent littéraire sera-t-il l’intermédiaire indispensable de demain ? (Crédits photo :
Flazingo Photos)
L’avantage principal de cette méthode est que l’agent prend en charge la recherche et la négociation des contrats d’édition. L’auteur peut donc se concentrer sur sa tâche d’écrire.
L’inconvénient de ce modèle est que l’agent littéraire ne s’intéresse qu’aux auteurs déjà importants. Comme son gagne-pain se fait sur la vente d’ouvrages, il doit en effet travailler avec des auteurs capables de générer des ventes importantes.
Le modèle économique bâtard : et si on mélangeait tout ça ?
À présent que nous avons fait un point sur les modèles traditionnels, il reste à comprendre comment ils peuvent être transformés en des modèles complètement injustes.
En toute franchise, cet article résulte de la découverte d’un modèle très précis. Une auteure me contactait en effet pour me demander mon opinion sur un service de diffusion littéraire que je ne connaissais pas. Et j’ai été plutôt surpris du modèle économique de ce dernier.
Je ne citerai pas le nom du service en question, car mon but n’est pas de condamner une pratique individuelle, mais plutôt de mettre en garde les auteurs sur l’importance de choisir ses prestataires avec attention.
De curieux services pour les auteurs
Le modèle économique novateur et surprenant qu’on proposait aux auteurs s’affichait comme suit :
- Des services aux auteurs : dans un premier temps, on propose aux auteurs d’accéder à différents services payants. Le modèle s’annonce donc être un site de services pour auteurs auto-édités. Les prestations sont intéressantes, puisqu’elles permettent la diffusion du livre sur de nombreuses plateformes, et d’autres services très utiles pour tout auteur indépendant (diffusion, communication, correction, etc.).
- Un service d’agent littéraire : là où le modèle devient curieux, c’est qu’il change à partir d’un certain nombre de ventes. Si l’ouvrage vendu grâce à ces services remporte un franc succès, le site de services devient automatiquement l’agent littéraire de l’auteur en question. Le prestataire rembourse alors le prix des services évoqués plus tôt, mais dispose en contrepartie de la gestion des droits d’auteur sur le livre.
Pourquoi est-ce injuste ?
Nous sommes donc ici face à un modèle qui en mixe deux autres :
- L’auto-édition : l’auteur couvre lui-même les frais d’édition de son livre, en passant par un prestataire de services.
- L’agent littéraire : le même prestataire devient agent littéraire si le livre se vend bien.
Sur le papier, le modèle est sympathique : l’auteur passe par un prestataire qualifié, qui pourrait même le propulser jusqu’à l’édition en devenant un formidable agent littéraire.
Dans la réalité, et même si je m’emporte certainement un peu sur les intentions d’un tel service, il s’agit d’un modèle économique qui me semble cynique. En effet, le prestataire va profiter du meilleur des deux mondes :
- Si le livre ne se vend pas : le prestataire empoche tout de même le coût des services qu’il propose. Or, il propose des tarifs qui ne sont pas si avantageux. Un auteur indépendant pourrait donc trouver le même genre de services auprès d’un autre prestataire, sans la clause qui lui fait risquer de perdre la gestion de ses droits d’auteur.
- Si le livre se vend : le prestataire sait qu’il a tout à gagner à devenir l’agent littéraire de l’auteur. Un livre indépendant à succès peut en effet facilement trouver un éditeur, et donc générer des revenus plus importants. Le prestataire n’a donc pas grand-chose à perdre à rembourser l’auteur des frais, puisqu’il pourra générer des revenus d’une manière différente.
Ce que je n’apprécie clairement pas dans ce modèle est que le prestataire ne s’engage à rien. Comme il touche l’argent de la vente de services, il n’a aucun intérêt particulier à promouvoir le livre. Après tout, s’agissant de services d’auto-édition, c’est à l’auteur de mobiliser son réseau pour engendrer les ventes. Le prestataire ne sera pas moins payé en cas de mauvaises ventes.
En revanche, si un auteur indépendant fait bien son travail et parvient à écouler son ouvrage, le prestataire profitera de ce succès, aux dépens de l’auteur qui n’aura pas un parfait contrôle sur ce que devient son livre.

L’écrivain est-il vraiment toujours gagnant avec ces nouveaux modèles économiques ? (Crédits photo : Money Images)
Les risques d’un modèle bâtard
Au final, s’il y a un perdant dans ce type de modèle présenté comme « innovant », c’est systématiquement l’auteur. Quel que soit le profil d’un auteur, je ne vois aucun intérêt à ce type de services mixtes :
- L’auteur qui cherche des services d’auto-édition : n’a aucun intérêt à s’associer à un agent littéraire. Il perdrait en effet une part de ses droits et de ses bénéfices, alors qu’il consacre lui-même son temps et son argent à la promotion et à la diffusion de l’ouvrage.
- L’auteur qui cherche un éditeur : n’a pas vraiment d’avantages à payer des services de diffusion ou d’auto-édition. Il ne sera en effet pas plus facile de trouver un éditeur via l’auto-édition que via l’envoi de manuscrits… et ce sera pourtant plus coûteux !
- L’auteur qui cherche un agent littéraire : doit avant tout négocier sur un contrat établi à l’avance, et ne pas payer de frais préalables qui l’engageraient à un certain nombre de ventes.
Faut-il rejeter tous les services aux auteurs ?
Notez que je ne remets pas ici en cause les services aux auteurs indépendants.
L’importance des services pour auto-édités
Je considère personnellement qu’un auteur indépendant a tout intérêt à limiter les frais sur la diffusion d’un ouvrage. En effet, ce n’est pas parce que vous investissez 10.000€ dans la diffusion d’un roman que celui-ci deviendra forcément un best-seller (à moins peut-être que vous achetiez vous-même 10.000€ de votre propre livre…).
En revanche, je pense qu’un auteur qui a les moyens d’engager un correcteur, un illustrateur ou tout autre prestataire de service peut tout à fait en profiter.
Après tout, si vous n’avez pas les compétences pour faire une certaine tâche, pourquoi ne pas profiter de l’expérience d’un prestataire dont c’est le métier ?
Le risque de certains services…
Ma conclusion est simplement la suivante : il convient de vous méfier des prestataires de services qui proposent une offre qui vous semble curieuse. Un prestataire doit vous livrer un service clair, au tarif défini à l’avance et sans conditions qui pourraient entamer vos droits.
Tout modèle économique qui se présente comme novateur, unique ou révolutionnaire l’est rarement, et il n’est donc pas idiot de s’en méfier, comme on peut se méfier aujourd’hui des éditeurs à compte d’auteur…

Choisissez vos contrats d’édition et prestataires avec attention, pour ne pas vous retrouver sur la paille ! (Crédits photo : JD Hancock)
Bonjour
Merci de ce long article sur le sujet. Je ne sais pas si les éditeurs français travaillent avec les agents littéraires? L’ image à la « papa » de la relation éditeur auteur me semble encore d’actualité, les agents littéraires semblant être déjà dans les maisons d’édition et « encadrer » la carrière des auteurs élus?
Est-ce que l’agent littéraire en France n’est pas son attaché de communication, une fois qu’il est entré dans le sérail et cornaqué dans sa carrière d’écrivain de la maison d’édition qui le produit? cet article sur les nouvelles façons de gagner des sous sur le dos des créateurs est éclairant et renforce l’impression que pour se faire lire en France, c’est soit l’éditeur soit soi-même, à moins de trouver une voie alternative. et être édité n’est pas synonyme de succès et de ventes. On le voit bien aux salons où les auteurs font tapisserie pour signer un ou deux livres s’ils ne sont pas déjà des stars (je fais partie des premiers hélas 😉 ) Sinon bon anniversaire et encore merci de la tenue de ce blog où on lit, et apprend le métier!
Bonjour, et merci de ces commentaires !
L’agent littéraire est une pratique encore neuve en France, mais elle existe. Je suis loin d’être un spécialiste en la matière, mais j’avais besoin de parler de cette profession pour ce billet.
J’ai d’ailleurs dû refaire une rapide recherche documentaire pour rafraichir ma mémoire et répondre à votre commentaire. D’après ce billet de l’express, c’est bien un agent littéraire qui a négocié le contrat de Michel Houellebecq quand il est passé de Flammarion à Fayard.
Je pense que l’agent littéraire a très mauvaise presse en France car les éditeurs ne l’aiment pas (on en revient à l’image « à la papa » 😉 ), et ce pour des raisons évidentes. Il est donc fort possible que la majorité des auteurs soient effectivement placés sous « le contrôle » d’un intermédiaire qui travaille directement pour leur éditeur.
Quoi qu’il en soit, il est évident qu’un agent littéraire ne va jamais se tourner vers un auteur inconnu. Je ne serai pas étonné cependant qu’il existe déjà des agents littéraires « innovants », qui proposent leur service à des inconnus contre une immense rémunération !
Je pense quoi qu’il en soit que le métier d’agent littéraire pourrait se démocratiser si les succès d’auteurs indépendants numériques se font nombreux. Au fond, un agent littéraire a beaucoup à gagner en essayant de prendre pour client un écrivain indépendant à succès déjà démarché par des éditeurs.
Merci encore pour vos encouragements ! 😀
Petite erreur : « L’auteur devra envoyer son manuscrit à de multiples maisons, et considérer un temps certain à ces démarches. » Je pense que vous vouliez plutôt dire consacrer. 🙂
Merci pour cet article. On croise en effet de plus en plus de systèmes « novateurs » et de « maisons d’édition » « différentes », cela fourmille partout sur le net. On ne signale jamais assez aux auteurs de faire preuve de la plus grande méfiance !
Effectivement, j’ai mélangé les deux mots. Merci d’avoir mis à nu cette coquille, elle est corrigée ! 😉
Merci pour cet article en forme de piqure de rappel pas du tout inutile.