En ce moment, je suis en plein dans les finitions de mon prochain roman à paraître. Et comme je suis un être volontiers axé sur les plus profondes interrogations métaphysiques, le travail mené sur mon texte m’a amené à me poser une question : un auteur peut-il écrire seul ? Certes, comme souvent lorsque je pose des questions qui paraissent aussi futiles, vous pourriez être tentés de me dire « bien sûr l’ami, a-t-on jamais vu un écrivain incapable d’écrire seul ?« . Ce à quoi je répondrais, avec l’air mystérieux du sage philosophe que je ne suis pas : « Plusieurs sens au mot « écrire », il y a… » (et oui : je suis du genre à imaginer que les philosophes parlent tous comme Yoda).
Bref, tout cela pour vous prévenir que l’article du jour va s’intéresser une fois de plus à la tâche de l’écriture du roman, et plus encore à celle de l’auto-édition. Aujourd’hui, mes chers amis auteurs, vous qui êtes indépendants et isolés du monde, vous allez savoir si l’extrême solitude de l’auteur ermite est une stratégie d’écriture viable…
Crédits photo : James B Brook
Peut-on écrire seul ?
Pour en revenir à cette question qui me hante, vous comprendrez bien qu’il ne s’agit pas là de déterminer s’il faut être diplômé de Harvard pour être capable de tenir un stylo sans être supervisé par une équipe technique. Non, mon interrogation touche avant tout au processus d’écriture d’un roman, depuis la première à la dernière ligne.
Encore une fois, j’en reviens à cette détestable idée populaire qui veut qu’un auteur soit dépositaire d’un talent inné. Si on considère l’écriture comme un don, alors il paraît presque naturel d’imaginer que l’auteur est capable d’écrire seul, voire même qu’il peut cracher un premier jet parfait, sans jamais avoir à retravailler un texte.
Pour m’empêcher de croire moi-même en ces on-dit, et m’épargner ainsi de développer le pire des défauts des écrivaillons : l’arrogance, je me devais de pousser plus loin la réflexion.
L’écriture, une occupation solitaire…
L’auteur est capable d’écrire seul. Tel était le point de départ de toutes mes interrogations. Un écrivain, ce n’est pas quelqu’un entouré d’une équipe de choc, ce n’est pas un metteur en scène ou un attaquant de football : il est capable de pratiquer son occupation seul, comme un grand. D’ailleurs, si on excepte l’imaginaire romantique de Saint-Germain des Prés et de ses bars fournis en artistes et intellectuels, on imagine plus souvent l’auteur comme un être solitaire, voire antisocial, plutôt que comme un homme ou une femme de société.
A ce propos, y a-t-il occupation plus solitaire que l’écriture ? Quand nous parlions des maux qui affectent l’écrivain, nous ressentions déjà la propension d’un auteur à s’échapper du réel, ce qui le rend déjà seul lorsqu’il est entouré. Ajoutez à cela des heures passées à rédiger, face à une feuille blanche ou à un écran d’une couleur similaire, et vous comprenez qu’un auteur occupé est assez peu enclin à de longues conversations au coin du feu.
Contrairement au musicien, voire au peintre, l’écrivain ne peut pas directement partager sa création avec des spectateurs. Il n’y a d’ailleurs aucun intérêt à observer un auteur en train d’écrire, puisque l’écriture en elle-même ne demande pas un talent ou un savoir-faire particulier. Nombreux sont les écrivains qui refuseraient d’ailleurs d’écrire face à un public, par crainte de perdre leur précieuse concentration, ou tout simplement leurs moyens.
Arrivés là, nous pourrions donc nous dire que l’écriture est le travail d’un seul homme (ou femme) et qu’il est donc tout à fait naturel d’écrire seul. Mais serait-ce bien raisonnable de ne pas pousser l’investigation plus loin ?
… qui peut néanmoins nécessiter un public
Car la vision solitaire de l’écriture s’arrête dès lors que le public (aussi connu sous le nom de lecteur) entre en jeu. Alors, et alors seulement, l’écriture perd de son côté solitaire pour se conformer à toutes les autres occupations culturelles. Un comédien pourrait s’il le désire se moquer totalement des règles établies et jouer comme bon lui semble, en tournant le dos à la salle par exemple. Seulement l’exercice sera nettement plus périlleux dès lors que cette même salle accueillera un public. Si le comédien veut préserver sa réputation, il suivra alors les règles et cessera ses fantaisies.
L’auteur sera finalement dans le même cas. Solitaire ou non, il écrira toujours avec derrière-lui le spectre de ses lecteurs, et ne pourra prétendre à écrire seul, ne serait-ce que parce qu’il écrit pour autre que lui, et qu’il y a donc au moins une autre personne dans le processus : le lecteur.
Selon la popularité d’un auteur, le spectre de ses lecteurs sera plus ou moins pesant…
Libre à nous, même face à ce constat, de garder l’idée d’un auteur au talent inné, qui décide lui-même de ce que les lecteurs vont apprécier et peut donc, envers et contre tout, continuer à écrire seul. Mais cela existe-t-il vraiment ?
Différencier indépendance et entêtement
Des auteurs qui revendiquent le droit de travailler seuls, il y en a, et tout particulièrement dans l’auto-édition. Il faut reconnaître que publier un ou plusieurs livres en indépendant peut tenir d’une certaine propension à écrire ce qui nous plaît, sans prendre en compte le reste… Seulement cet état d’esprit ne peut pas, tout comme l’auteur, se suffire à lui-même.
Remarquez que l’auteur maudit qui se plaint du système et son injustice est souvent celui qui revendique n’en faire qu’à sa tête. Certes, ses livres ne se vendent pas, mais c’est avant tout la faute du public qui n’est pas préparé à son génie…
Et c’est là qu’on trouve la limite au fait d’écrire seul : une incapacité totale à juger son travail. S’obstiner à travailler seul, et cultiver ainsi l’espérance d’un talent inné, c’est finalement rejeter en bloc tout avis extérieur à son travail, et s’empêcher ainsi d’avoir une vision objective sur son œuvre, autrement dit d’avoir l’avis du lecteur.
On trouvera bien entendu de nombreux protestataires qui avanceront que le lecteur n’a pas son avis à donner, et que seul l’avis de l’auteur compte, et pourtant… Si l’on prend les plus grands bestsellers français, Lévy et autres Nothomb, qui sont forcés par leurs contrats de pondre un livre par an, on réalise bien vite que les désirs et envies du lecteur prévalent sur ceux de l’auteur.
Conclusion
Nous pouvons donc enfin avancer que l’auteur ne peut pas écrire seul, ne serait-ce que parce qu’il doit répondre à des standards de qualité établis par les lecteurs. Plusieurs impératifs vont donc se poser à l’auteur, notamment celui de créer un texte qui peut trouver son public, et qui saura plaire à ce public. On peut également citer un impératif de qualité syntaxique et bien sûr orthographique, ainsi qu’un impératif de crédibilité et de logique, entre autres…
Il en résulte que l’auteur devra savoir s’entourer, même s’il travaille sous la bannière ô combien solitaire de l’auto-édition. Lecteurs, relecteurs, correcteurs… Nombreux sont les alliés qui pourront permettre à un auteur de se perfectionner et de proposer des textes aboutis. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que le fait de se passer d’éditeur ne signifie pas pour autant de se passer d’un traitement éditorial à vos livres. Auto-édition ou non, le lecteur s’attend (et est en droit de s’attendre) à un « produit » correctement finalisé, et au rendu professionnel. Un rendu qu’un homme seul, qu’il soit auteur, éditeur ou que sais-je encore, ne peut pas parvenir à atteindre…
Ces conseils valent aussi aux auteurs qui désirent envoyer leurs manuscrits aux éditeurs. Si l’on peut penser qu’un éditeur s’occupera de la correction ou des menus détails de perfection d’un manuscrit, il ne faut pas pour autant penser que cela vous dispense d’envoyer un livre le plus abouti possible.
Si on voulait pousser encore un peu plus les choses, et affirmer que l’écrivain ne travaille définitivement pas seul, nous pourrions avancer qu’il n’est jamais totalement seul dans le processus d’écriture d’un livre. Même lorsqu’il imagine le récit de son futur roman, et croit tenir des idées neuves et jamais évoquées, il ne fait que recouper dans sa mémoire, consciemment ou non, différentes sources qui l’auront inspiré…
Je profite de ce billet pour remercier mes plus fidèles « collaborateurs », à savoir l’écrivain aux conseils très avisés : Jean-Basile Boutak, qui a bêta-lu plusieurs de mes textes, et ma « correctrice attitrée » Tipram Poivre, qui chasse les coquilles mieux que personne !
Et comme vous avez été sages jusque là, j’en profite aussi pour vous divulguer la couverture de mon prochain roman : Massacre Artistique. La page Découvrir mes livres devrait vous en apprendre un peu plus sur le récit si vous êtes curieux, en attendant que je revienne très prochainement sur ce sujet…
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Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée que « l’écriture en elle-même ne demande pas un talent ou un savoir-faire particulier ». Sinon, tout le monde serait capable d’écrire de très bons livres dont on se souviendra encore dans les siècles à venir, ce qui est loin d’être le cas. Il faut un peu de talent (pas forcément inné, certes) comme dans tous les arts. N’importe qui peut peindre, mais il faut du talent pour être Vinci. Il faut aussi un savoir-faire particulier : celui de l’écrivain ! Un savoir-faire qui s’acquiert assez simplement… en écrivant, tout comme, encore une fois, on devient peintre en peignant.
Pour le reste je suis tout à fait d’accord : l’écrivain n’est pas si solitaire que ça, puisqu’il ne peut écrire qu’en étant d’abord un observateur du monde. Si les autres n’existaient pas, si l’écrivain restait enfermé chez lui, je pense que ses écrits auraient une certaine pauvreté. Ensuite il y a ceux qui ont la « chance » de relire la première version du texte et ceux qui ont encore plus de « chance » de corriger les fautes…
Et c’est vrai, les futurs lecteurs sont toujours présents. Il y a une partie du livre que l’on impose aux lecteurs : la trame, l’intrigue, les personnages… Mais on pense toujours aux lecteurs en se demandant comment décrire ceci pour le rendre vivant, comment écrire cela pour que ce soit le plus fluide possible…
Bref, puisque cet article invite à la philosophie, j’ose désigner un autre point qui prouve que l’écrivain n’est pas seul : il est avec ses personnages ! Il leur donne vie, il leur donne un nom, il leur fait vivre des aventures, il se sent bien en leur compagnie… Donc finalement, l’écrivain n’est seul que lorsque son roman est publié, qu’il s’en est détaché, qu’il a été donné aux lecteurs. Car eux, lecteurs, pensent-ils à l’auteur en lisant ?
Merci pour ce nouveau billet, Pierrick.
Je ne crois pas qu’il existe des gènes « écrivain talentueux » dans notre ADN, hélas.
Même quand on en a l’étoffe, pour reprendre un poncif, je rappellerai le fameux « 1% d’inspiration et 99% de transpiration ».
Pour le reste, je suis d’accord avec ce que vous écrivez, surtout avec l’hommage rendu à Jean-Basile et à votre correctrice attitrée (joking).
Je me réjouis en tout cas de constater que vous êtes toujours aussi prolifique. J’aime bien la couv de votre « Massacre ».
Tipram
Mais il est aussi en compagnie de celui qui lui prête la plume, et premier lecteur des vents qu’il met en forme, non ? en sus des personnages, qui existent quelque part …
Merci pour vos commentaires.
@Jean-Philippe Vest : Je jouais avec le sens du mot « écriture ». Le simple fait d’écrire (gratter sur le papier) n’a rien d’impressionnant, contrairement à la peinture ou à la musique, dont la pratique montre immédiatement si l’artiste est doué ou non…
Je pense que le lecteur impose à l’auteur beaucoup plus de choses qu’on ne le pense. Trame et personnages sont par exemple très influencés par le lecteur. Quand un auteur choisit un genre pour son livre, il optera consciemment ou non pour un type de personnages. Cela ne signifie pas que chaque livre doit être un amoncellement de clichés, mais le roman de fantasy sans son chevalier servant ou le polar sans son inspecteur torturé risquent de décevoir bien des lecteurs.
Pareil pour la trame. On aura beau se triturer la tête dans tous les sens, il sera difficile d’échapper au schéma « situation initiale/élément perturbateur/péripéties, etc » sans troubler le lecteur… et donc sans le perdre.
Bien d’accord avec ta vision des personnages. Il est vrai qu’ils ont tendance à devenir des compagnons d’infortune au fil des pages !
@Tipram 99% de transpiration ? Pourtant l’écriture ne fait que trop rarement transpirer ! :-p
@Hé Lium : Euh…Je serais tenté de vous répondre « oui » même si vos propos m’échappent un peu pour être tout à fait honnête.
Helas, je confirme, Pierrick. L’écriture me fait transpirer sang et eau, et parfois perdre le sommeil…
T.
pour dire comme Léo Ferré, « nous étions moi et moi , accoudés à ce bar » . même seul on est accompagné de beaucoup, de mémoires, de gens, on est traversé à notre insu, d’une part , et d’autre part , on donne , à ceux auquel on pense quand on écrit . bref, il y a foule 🙂
Très beau message. 🙂 Ce doit être le côté schizophrène des auteurs !
J’aime bien vos billets, partir d’une idée apparemment lisse et la travailler pour en faire apparaître les aspérités.
Oui, seul on ne l’est réellement que lorsqu’on met en forme ce qui nous a nourri et que nous avons mûri, tout le reste est antenne, curiosité et interaction avec les autres et le monde. D’ailleurs, ces moments où l’on est seul sont bien difficiles à trouver…
Quant aux personnages, je trouve qu’on joue sur les mots et sur l’idée, si l’on en fait des créatures qui tirent l’écrivain de sa solitude.
Merci pour ce compliment qui me touche sincèrement. Il est vrai que beaucoup de mes billets partent de pas grand chose, à tel point que j’ai parfois peur de me perdre dans des réflexions stériles !
Effectivement, l’auteur n’est finalement jamais vraiment solitaire.
Les personnages restent quoi qu’il en soit une entité curieuse à définir. Je ne saurais dire s’ils tournent les gens vers eux-mêmes ou vers les autres.
Certes, l’écrivain doit plaire à un public s’il veut vivre de son travail, il peut l’écouter, il aura une réussite commerciale, point.
Maintenant, s’il a de plus hautes prétentions, mais si, certains ont des aspirations, des envies de rejoindre l’élite, les écrivains dont ont se souviendra… mais cela non plus ne les amènera nulle part.
Non, l’essentiel dans les arts, c’est d’avoir des tripes, du caractère, une personnalité hors norme, justement pour sortir de la norme des écrits prédigérés vers lesquels conduisent l’excès d’écoute des lecteurs.
La musique s’est gravement plantée ces dernières années à trop vouloir formater des artistes faits pour plaire. Cela a plus ou moins fonctionné, bon an mal an, on n’a pas perdu d’argent, on en a gagné un peu, parfois, et on a dégouté ce fameux public d’acheter de la musique ! Heureusement, malgré tous les garde-fous, des artistes hors standards apparaissent, pas moyen de les canaliser, de les contrôler ; pourtant ce sont bien eux qui réactivent de manière inopinée l’intérêt de ce fameux public que notre époque d’analyse et de sondagite tend à vouloir caractériser.
Bref, à trop vouloir écouter les avis, l’écrivain, comme tout autre artiste, va produire une soupe tiède, mais ce n’est pas comme cela qu’il déchainera les passions. Seulement, à viser ce dernier objectif pour lequel il faut savoir rester soit même, il est prévisible que l’on court à l’échec quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, mais n’est-ce pas le un pour cent que beaucoup d’auteurs visent ?
Il faut savoir cesser d’être un gentil garçon, seulement de temps en temps si l’on a peur, si l’on a besoin de manger, mais il faut au minimum essayer une ou deux fois…
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Le raisonnement me parait fausse des lors que l’on considere que l’auteur a necessairement une ambition au point de vue autre que son lecteur potentiel. La plupart des ecrivains sont avant tout des lecteurs, et en tant que tels se doivent d’etre aussi exigeant avec eux-memes qu’avec les autres.
Le metier d’artiste (musicien, peintre ou ecrivain) n’excelle que dans le travail et l’exigeance. Ainsi la premiere difference entre un Levy et un Hugo : le nombre d’heures passees a paufiner, ciseler son texte.
Le metier d’ecrivain particulierement reside dans l’elaboration d’un mensonge. Proposer le premier jet reste une escroquerie. En proposer l’elaboration au meilleur de ses capacites, l’anoblit, le sublime, l’eleve au rang de verite.
Quelque soit le talent de l’artiste.