La manière de communiquer d’un personnage est toujours une façon comme une autre de le caractériser. Il suffit de voir les différences de langage entre Tintin et son compagnon le capitaine Haddock pour en avoir le cœur net. Dès lors, on peut tout à fait imaginer un personnage incapable de communiquer sans faire de fautes…
S’ensuit cependant un dilemme moral pour l’auteur : faut-il qu’il retranscrive volontairement les fautes d’orthographe ou de syntaxe de ses personnages ? C’est justement la question curieuse à laquelle nous allons tenter de répondre aujourd’hui : un personnage de roman peut-il faire des fautes d’orthographe ?

Crédits photo : Romana Klee
Pourquoi un personnage de roman devrait-il faire des fautes ?
Je dois admettre qu’il m’arrive d’aborder des sujets pour le moins capillotractés sur ce blog. Et notre thème du jour fait un peu partie de ceux-là.
Et pourtant, il est tout à fait logique de se demander si un personnage peut faire des fautes de syntaxe ou d’orthographe dans un roman. C’est même selon moi une question aussi importante que la mise en page du dialogue de roman.
La caractérisation d’un personnage inclut toujours une série de défauts et de qualités. Dès lors, il n’est pas impossible d’imaginer un personnage de roman dont l’un des défauts est une mauvaise orthographe. C’est même un défaut assez répandu dans la vie, qu’il est donc logique de voir apparaître dans la fiction.
Mais s’il est évident qu’un auteur de romans a intérêt à ne pas incorporer de fautes dans son roman, est-ce vraiment le cas de ses personnages ?
Un personnage peut-il faire des fautes d’orthographe ?
Ce n’est pas tous les jours qu’on se demande si un roman peut contenir des fautes… Alors, autant faire ça bien ! Pour commencer, il est important de noter qu’un personnage peut avoir deux principales manières de communiquer dans un roman :
- Les dialogues : à savoir la retranscription orale de ses dires, vis-à-vis des autres personnages ou de lui même.
- Les textes : à savoir la retranscription des écrits du personnage (lettres, note, emails, SMS, etc.).
Pour une raison évidente, je ne parlerai pas ici de narrateur interne. Pour la simple et bonne raison qu’en tant que narrateur, un personnage en narration interne (tout comme un narrateur externe ou omniscient) ne peut se permettre de faire des fautes d’orthographe à tout va.

Les personnages d’un roman ont-ils le droit de prendre « conger » de l’orthographe ? (Crédits photo : Exile on Ontario St)
Les dialogues du personnage
Dans un premier lieu, évoquons les dialogues du personnage. En règle générale, il est difficile de faire une faute d’orthographe audible (quoique ce n’est sûrement pas impossible) ! Pour la simple et bonne raison que l’orthographe est avant tout une question d’écriture.
Dès lors, il n’est pas logique qu’un personnage fasse une faute d’orthographe dans un dialogue. C’est d’autant plus vrai que le dialogue reste la retranscription d’une parole du personnage par le narrateur. Or, le narrateur se doit d’avoir une orthographe irréprochable.
En revanche, un personnage de roman peut tout à fait faire des fautes de syntaxe à l’oral. Et pour cause, une erreur de syntaxe est tout à fait audible, et il est logique pour le narrateur de la retranscrire. Dès lors, on peut utiliser l’usage d’une syntaxe bancale comme on utilise l’argot, pour caractériser son personnage et le différencier des autres.
Ainsi, un auteur ne pourra jamais écrire dans un dialogue :
— Et si nou allion chez le dokteur ?
En revanche, il peut tout à fait écrire :
— Et si nous allions au docteur ?
Dans ce cas, c’est bien le personnage qui fait une erreur syntaxique, et non le narrateur ou l’auteur.
La retranscription des écrits du personnage
Il y a cependant des moments où l’auteur peut, s’il le veut, retranscrire telles quelles les fautes d’orthographe d’un personnage. Ce sera le cas dès lors que la narration est coupée par un extrait direct de document ou d’écrit réalisé par le personnage.
Pour exemple, votre personnage principal peut recevoir une lettre grossièrement écrite à la main. Si le contenu de cette dernière est retranscrit tel quel, il peut tout à fait contenir des fautes d’orthographe.
En revanche, il est important de bien utiliser la mise en page pour faire comprendre au lecteur qu’il est en train de lire les textes du personnage, et non pas un passage de narration ordinaire.
Sans quoi, le lecteur sera tenté d’attribuer les fautes à l’auteur, et non au personnage qui a écrit la lettre.

Retranscrire mot pour mot les écrits d’un personnage vous permet de retranscrire ses erreurs. (Crédits photo : Vanessa Vancour)
De la difficulté d’utiliser des fautes d’orthographe dans un roman
Cette phrase peut sembler complètement ahurie, mais il est plus difficile qu’on ne le pense d’utiliser des fautes d’orthographe dans un roman. Je parle bien entendu ici de les utiliser de manière volontaire.
Car si un personnage peut faire des fautes d’orthographe et de syntaxe dans certains cas, il convient de ne pas abuser de ce type de procédé. Incorporer volontairement des fautes peut en effet entraîner plusieurs défauts, que nous allons lister :
Le manque de compréhension du lecteur
Pour commencer, les fautes d’orthographe d’un personnage peuvent déclencher l’incompréhension du lecteur. Ce manque de compréhension peut d’ailleurs toucher deux choses :
- Le manque de compréhension du personnage : si la syntaxe ou les écrits du personnage sont vraiment illisibles, le lecteur finira par ne plus le comprendre. C’est un fait dérangeant, à moins que ce soit l’effet recherché par l’auteur.
- Le manque de compréhension du procédé : l’autre risque est que le lecteur ne comprenne pas que les fautes sont dues au personnage. Si ce n’est pas présenté de manière claire, un lecteur aura vite fait d’attribuer une faute à l’auteur plutôt qu’au personnage. Dès lors, sa perception de la qualité du texte va baisser drastiquement, pour de mauvaises raisons.
C’est pour cette raison qu’il faut utiliser les fautes de syntaxe d’un personnage avec subtilité, tout en attribuant ces fautes au personnage et non à la narration. Pour exemple, si des erreurs d’orthographe sont contenues dans une lettre, le narrateur peut souligner leur présence avec une phrase telle que « Il saisit la missive, couverte de ratures et de fautes ».
La lourdeur stylistique
Dérivons directement sur un autre défaut de l’utilisation d’erreurs chez un personnage : la lourdeur. L’un des problèmes majeurs de l’utilisation d’erreurs d’orthographe est la tentation d’en mettre partout.
Pour bien que le lecteur comprenne que les fautes sont dues au personnage, l’auteur décide d’en tartiner une lourde couche… À tel point que le personnage finit par passer pour un ignare lourdingue, incapable d’aligner deux phrases correctement.
C’est aussi un phénomène que l’on peut voir lorsqu’un auteur essaie d’incorporer du langage SMS (déjà si doucement désuet) dans les échanges entre ses personnages « d’jeuns ». Cela devient vite lourd, voire illisible dans certains cas.
Toute la difficulté est de trouver le dosage parfait pour que :
- Les fautes soient visibles.
- Le lecteur comprenne qu’elles sont dues au personnage et que ce ne sont pas des coquilles.
- Le personnage ne devienne pas une caricature grossière.
- Le style reste fluide et agréable.
Le problème ? Ce dosage reste très difficile à obtenir.
Le mépris
Un dernier défaut va concerner davantage le fond que la forme.
Et pour cause, un auteur qui utilise des fautes d’orthographe pour les discours de ses personnages peut vite paraître méprisant. L’auteur qui applique ce procédé n’est pas forcément méprisant, mais il faut admettre qu’il y a un côté un peu vicieux à se forcer à faire des fautes pour faire parler un ou plusieurs de ses personnages.
C’est d’autant plus vrai que les personnages qui font des fautes seront souvent des clichés ambulants. Généralement, l’auteur ne va pas faire commettre d’erreur syntaxique à un personnage principal riche et brillant, mais plutôt à un jeune ado crétin, à un brave représentant du milieu ouvrier ou, pire, à un personnage d’origine étrangère.
En résultent des personnages et un récit clichés, lourds, voire racistes dans les pires des cas. Autant dire que tout ça n’a rien de folichon !

La question reste à se poser : faut-il faire commettre des fautes à ses personnages ? (Crédits photo : Herman Yung)
Faut-il créer des personnages qui font des fautes de syntaxe ?
Au final, vous aurez compris qu’il reste très délicat de faire commettre des fautes aux personnages d’un roman. Mon conseil ? Évitez ce procédé !
À moins qu’il n’ait une explication logique dans le récit (par exemple si vous écrivez sur un personnage qui souffre de troubles du langage), ce procédé va souvent donner lieu à des textes un peu lourds, voire délicats à comprendre.
Les fautes d’orthographe sont à éviter au maximum, car le lecteur aura vite fait de les attribuer à l’auteur plutôt qu’au personnage (sauf si elles sont évidentes, auquel cas le récit deviendra lourd !).
En revanche, utiliser les fautes de syntaxe de manière subtile peut vous aider à caractériser un personnage. Rien ne vaut un petit tic de langage ou quelques expressions argotiques pour renforcer le caractère et la présence d’un personnage.
Cependant, sachez rester subtil ! Si chaque réplique d’un même personnage doit contenir une ou plusieurs fautes de syntaxe, c’est que vous faites un peu trop de zèle. Le personnage risquera alors de sembler cliché, voire totalement stupide. À moins que ce ne soit l’effet recherché, mieux vaut donc limiter l’usage d’erreurs syntaxiques.
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On peut laisser des erreurs de syntaxe comme une négation incomplète (ex : je suis pas venu…) parce qu’il s’agit de la transcription d’un langage parlé mais en aucun cas des fautes d’orthographe qui sont du langage écrit.
Article fort bien sympathique et intéressant ! (Oups, pardon : artikl for bi1 s1pastik inTressan !)
Il me rappelle le procédé qu’a utilisé Daniel Keyes, dans son roman Des fleurs pour Algernon, qui est la retranscription d’un journal intime d’un déficient intellectuel, avant et après son opération chirurgicale. Après son opération, on voit l’amélioration de son orthographe au fur et à mesure que celui-ci devient de plus en plus intelligent. Excellent roman, au passage, et donc à lire absolument.
Cimer pr ta répons. 🙂 Merci de cet exemple, que je ne connaissais pas. C’est justement à ce type de scénario que je pensais en mentionnant un personnage atteint de trouble du langage. D’ailleurs en lisant le synopsis de ce roman de Daniel Keyes, je me dis que ça n’a pas du être un jeu d’enfant de traduire ce roman ! 😉
2ri1. 😉
En effet, ça n’a pas dû être une tâche facile, ni pour l’auteur, ni pour les traducteurs (il n’y a pas que le français, j’imagine).
Hé SanA, y ‘m courrent ces gusses! J’ causerais comme c’est qu’y voudraient à ma Berthy, â m’enverrait à dache! Y’ s voillent tous en profs!
Ton Béru
À force d’entendre parler de San-Antonio, il faudrait sérieusement que je m’y plonge ! 😉